Lou prépare son avenir

Lou Haïs, 24 ans, en première année du nouveau Deust Préparateur en pharmacie. Apprentie dans une officine près de Royan, elle s’accroche pour donner le meilleur malgré une maladie rare qui l’handicape au quotidien.

Assise sur un tabouret en forme de selle de cheval spécialement prévu pour elle, Lou prépare consciencieusement les commandes de médicaments pour un Ehpad voisin. Depuis son arrivée au sein de la pharmacie de Vaux-sur-Mer (13 salariés) près de Royan en septembre, cette jeune femme de 24 ans s’attelle à la tâche en « back office ». Au menu : réception des produits, lecture et exécution des ordonnances, réassort des rayons et surtout de l’automate, cette grande armoire où sont stockés les traitements que l’on distingue souvent derrière le comptoir sans y avoir accès.
Lou Haïs est apprentie, en première année du Deust de préparateur en pharmacie, la nouvelle formation portée par l’université de Poitiers et en partenariat avec quatre CFA de l’ex-Poitou-Charentes, dont celui de Saintes en l’occurrence. Ce métier, elle l’a envisagé sur le tard. Après un bac scientifique et une première année en faculté de physique-chimie, des problèmes de santé l’ont obligée à changer d’orientation. Elle a d’abord obtenu un BTS dans le tourisme, en partie à distance à travers le Cned, pour finalement se diriger vers une troisième voie.
« J’avais du mal à trouver un job qui convenait avec ma santé fragile. Comme j’étais inscrite à France Travail, j’ai eu l’occasion d’effectuer une immersion professionnelle d’une semaine pour découvrir les métiers de la pharmacie. Après beaucoup de discussions avec des conseillers en insertion, j’ai choisi cette formation. Il y a de la chimie et je vais conseiller les patients, ça me plaît bien. » Bien qu’elle ne connaisse personne dans ce milieu, Lou a décidé de sauter le pas.

Son poste aménagé par un ergothérapeute

Sa « santé fragile » est due à une maladie génétique rare, l’épidermolyse bulleuse dystrophique dominante, qui se traduit par une fragilité extrême de l’épiderme, une forte sensibilité à la douleur et Lou se fatigue aussi plus vite. « Marcher longtemps ou rester debout de façon prolongée, c’est difficile pour moi. » Lou est ainsi reconnue en qualité de travailleuse handicapée (RQTH) et bénéficie d’aménagements spécifiques de son poste de travail.
Comme le fameux tabouret en selle à cheval qui facilite ses déplacements latéraux le long de l’automate. Le même sera installé au comptoir quand elle sera habilitée à accueillir les patients. Elle dispose aussi d’une servante inclinable sur roulettes pour poser les caisses de médicaments à la hauteur de son buste et ne pas se baisser constamment.
« C’est vraiment beaucoup plus confortable pour moi. Et la démarche a été très simple, l’ergothérapeute est venue à la pharmacie quelques jours après mon arrivée et tout l’équipement a été livré début octobre. Il a été en grande partie financé par l’Agefiph, et pas par l’employeur. »

Pourquoi l’apprentissage ?

« À 24 ans, je ne voulais pas reprendre de longues études. Je voulais vraiment entrer dans le milieu professionnel. Des expériences concrètes comme celle-ci m’avaient vraiment manqué jusque-là dans mon parcours scolaire. » On ne va pas se mentir, Lou est aussi contente de recevoir un salaire, de cotiser pour sa retraite et puis, elle a l’impression que « le temps passe plus vite ».
En revanche, trouver son employeur n’a pas été facile. Seule, Lou est allée frapper physiquement à la porte d’une quinzaine d’officines de son périmètre. Souvent plusieurs fois pour enfin parler au gérant. Agnès et Hubert Ghestem ont été les seuls à la convoquer pour un entretien. « Je cherchais un temps partiel à 28 h, ce n’est pas commun. » Elle a choisi d’annoncer directement son handicap même s’il ne se voit pas. « J’ai hésité afin d’éviter toute discrimination à l’embauche, mais je ne voulais pas que ce soit un frein au dernier moment. Et puis il y a des aides à l’emploi de personnes handicapées. » Cette sincérité n’a pas joué en sa faveur durant ses recherches mais elle était indispensable. Et Lou a fini par atteindre le Graal.

Obligée de réduire ses heures

L’apprentissage a pas mal d’avantages mais aussi quelques inconvénients. En l’occurrence, Lou a dû « s’accrocher » pour enchaîner les heures. « Il faut ingurgiter beaucoup d’infos à la fois au CFA et en entreprise. Et on a moins de vacances qu’un étudiant lambda. »
Pendant les vacances de Noël, son corps a lâché. Conséquence : dix jours d’arrêt. Cette mésaventure l’a beaucoup fait cogiter sur la suite des événements. « J’étais épuisée, il fallait que je demande à réduire mes heures, mais j’avais peur de déranger. » À son retour, son employeur a eu une réaction « très humaine ». « Mme Ghestem m’a reçue et elle a vraiment cherché une solution pour me permettre de rester. » Une nouvelle organisation a été mise en place : Lou est passée de 28 h à 20 h par semaine avec deux jours de repos consécutifs indispensables pour qu’elle récupère.
La jeune femme travaille désormais les lundi, mardi, vendredi et aussi le samedi, ce qu’elle accepte sans difficulté. D’autant que son compagnon, ripeur, a aussi des horaires décalés.

Côté salaire, pas de changement. L’Allocation d’adulte handicapé (AAH) est venue compenser la perte de revenu. Au total, elle perçoit 971€ dont environ 500€ de salaire. Comme la déclaration à la Caisse d’allocations familiales (Caf) est trimestrielle, Lou savait qu’elle devrait rendre un trop-perçu. Un élément à prendre en compte dans ses dépenses du quotidien.

Un premier équipement professionnel offert

Contrairement à d’autres filières, le rythme de l’alternance n’est pas fixe. Les périodes en entreprise et à l’école se succèdent très rapidement. Par exemple, Lou a « switché » d’un endroit à l’autre à quatorze reprises entre septembre et janvier. « Comme on part moins longtemps, on a moins de mal à retrouver ses marques. » En revanche, travailler en groupe avec les autres apprentis sur les projets tutorés, c’est une autre histoire… Au CFA, Lou n’a pas le temps de s’ennuyer. Malgré son handicap, le volume horaire est de 35 heures hebdomadaire, comme les autres. Toutefois, elle suit les cours à distance trois jours par semaine et se déplace les deux suivants. « Je viens pour les travaux pratiques, la route me fatigue mais j’ai une pause plus longue à midi et je suis contente de revoir mes camarades. »

Pour leur première session de TP, les élèves ont fabriqué des gélules à base d’ibuprofène et de caféine. Chacun avait son propre matériel. Pilon, mortier, pipettes, « gélulier »… Tout cela dans une mallette d’une valeur de 500€ financée par l’Opérateur de compétences (Opco) du secteur, l’organisme qui soutient la formation professionnelle. « On nous a dit qu’il y avait trop de casse avant. Maintenant chaque étudiant est responsable de son équipement. » En visio, les professeurs mettent tout en œuvre pour que Lou les entende et dispose d’une vue parfaite sur les documents projetés. « Tous nous font aimer le métier. On nous rappelle souvent à quel point ce qu’on fait est important pour les patients, c’est très valorisant et ces paroles me donnent du courage pour continuer. » Elle peut aussi compter sur ses camarades. « Tout le monde est au courant de mes soucis de santé. Une étudiante m’envoie des photos quand je ne vois pas bien sur la visio. Un autre m’a aidé à porter ma grosse mallette et mon sac jusqu’à ma voiture un jour où j’avais des béquilles. On est très contents de se revoir quand je viens. »

Examens tous les semestres

Sérieuse et appliquée, Lou fait régulièrement des fiches de révisions. De quoi ingurgiter plus facilement la grande quantité d’informations acquises en cours. Résultat : elle a passé ses examens haut la main. Une session en janvier, une autre en mai, et c’est tout, alors que dans le passé, la validation de l’ensemble des deux années était concentrée en fin de parcours. « C’était quitte ou double. Je préfère cette modalité. Surtout qu’il existe les rattrapages. »

Pour tenir malgré la fatigue, Lou s’astreint à une sieste tous les après-midis et ne se couche jamais après 22h. Mais ces précautions n’ont pas suffi. Son corps a lâché une seconde fois cet été. Rien à voir avec le premier épisode. Son dos s’est bloqué et d’importantes décharges dans les jambes la font souffrir. Son médecin l’a arrêtée à nouveau durant plusieurs semaines. Impossible pour elle évidemment de répéter ses techniques à la maison. « L’attente est difficile. Heureusement je suis bien soutenue par ma famille et mon fiancé. Mes collègues prennent souvent de mes nouvelles. Je prends de l’avance sur les cours de deuxième année. »

Les patients demandent conseil

Lou attend la reprise avec impatience. D’autant que juste avant d’être arrêtée, la jeune apprentie a pu se tester au comptoir, au contact du public, mais jamais seule, toujours avec son tuteur ou un pharmacien. Réglementation oblige ! Or les patients ne viennent pas uniquement pour retirer des médicaments prescrits. « Ils demandent souvent l’avis du pharmacien sur un bouton à l’aspect bizarre, des courbatures inattendues, un œil qui gratte… Je découvre ce qu’on peut dire et donner dans ces cas-là. L’expérience des plus anciens est très enrichissante. » Prochaine étape : mettre un peu plus de distance entre l’histoire des patients et la sienne. En attendant, son vécu l’aide à comprendre les malades. « Errance médicale, relations avec l’administration, traitements… J’ai des facilités à parler de leurs problèmes parce que je les ai aussi rencontrés. » Cette fois, c’est sûr, Lou a trouvé le métier qui lui convient.

 

APPRENTISSAGE ET HANDICAP

Comme tout salarié, un apprenti peut bénéficier d’une Reconnaissance de qualité de travailleur handicapé (RQTH). Toutefois ce n’est pas automatique. Il doit en faire la demande auprès de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) qui statue sur le niveau d’invalidité. La RQTH ouvre droit à des aides financières pour adapter le poste de travail au handicap de l’apprenti. Un ergothérapeute se déplace en entreprise pour définir les équipements nécessaires entièrement financés par l’Agefiph. Idem sur le temps de cours au CFA durant lequel l’apprenti peut aussi bénéficier d’une aide humaine, comme un interprète en langue des signes par exemple. Des aménagements du contrat et des possibilités d’allongement de la durée jusqu’à un an sont possibles. Et il n’y a pas de limite d’âge pour conclure un contrat d’apprentissage pour une personne en situation de handicap. Pour plus d’informations, chaque établissement de formation dispose d’un référent handicap.

 

3 QUESTIONS À...

Agnès Ghestem, propriétaire de la pharmacie de Vaux-sur-Mer (13 salariés), qui a recruté Lou en alternance.

L’apprentissage, vous en pensez quoi pour les métiers de la pharmacie ?
« Je recrute un apprenti quand j’anticipe un futur besoin de collaborateurs, ce n’est pas régulier. Je trouve que c’est une bonne façon de former les nouveaux collègues. Les apprentis sont en contact direct avec le terrain. Toutefois ils ne sont pas immédiatement au comptoir. Comme les autres, Lou doit manipuler les boîtes en back office et se familiariser avec les molécules. Elle sera au contact des clients dans un second temps, toujours sous la surveillance de son maître d’apprentissage, un préparateur en pharmacie comme elle, ou d’un autre collègue diplômé, c’est réglementaire. »

Le handicap de Lou implique des contraintes pour l’entreprise. Pourquoi l’avoir choisie malgré tout ?
« Lou a un profil intéressant. D’abord elle est plus âgée, ce n’est pas une fille qui sort du bac, elle a une grande maturité. De plus, le handicap ne me fait pas peur. Mieux, comme je la connais un peu, je sais que sa situation l’a amenée à acquérir un vrai caractère de battante. Je suis contente qu’elle me l’ait dit immédiatement car si on n’est pas franc du collier dès le départ, la relation est biaisée. Lou se fatigue vite, j’ai exigé qu’elle pose régulièrement des jours de congés pour éviter les arrêts et qu’on puisse planifier sa présence. J’adapte l’organisation parce que je sais qu’elle est très efficace, pugnace et qu’elle progresse vite. »

Votre pharmacie a-t-elle perçu des aides pour recruter Lou avec son handicap ?
« Je reçois la prime d’apprentissage parce que j’ai recruté une apprentie, pas pour son handicap. Et je sais que les conditions seront différentes l’année prochaine lorsque Lou aura 25 ans. Le coût sera plus important mais c’est un choix. Pour les aménagements techniques, j’ai souhaité avancer les frais en septembre pour que les équipements soient livrés plus vite. La pharmacie a été intégralement remboursée en mai. »

 

Rédaction : Romain MUDRAK


Dernière mise à jour le 27 novembre 2024

CFA Sup Nouvelle-Aquitaine

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